Dans l'eau je suis toujours

 

Dans l’eau, on est toujours à côté de ; l’adhésion est imaginaire, quoique totale ; comme l’air, l’eau n’est pas à ma disposition : simple traité de tolérance.

Dans l’eau, consciente d’un état de partie ou de particule au sein de l’environnement, j’expérimente les remous et frictions, planète d’un système solaire dont je ne connais jamais tous ni tout à fait les composants : solidaire.

Dans l’eau, je ne peux oublier que tout est affaire de circonstances et que me poser en observateur ou en poids mort est illusoire : au-delà des principes de base, une implication incontournable.

Dans l’eau, entre les différents va-et-vient il y a toutes les possibilités intermédiaires allant de la violence à une veille à la limite du sommeil : un infini d’intervalles, en abîme de tout geste.

Dans l’eau, le provisoire est inquiétant et attirant, comme l’est le définitif.

Dans l’eau, étrangère à l’autre et à moi-même puisque constamment changée, en voyage entre deux états, entre vouloir être et vouloir ne pas être comme la vie me fait, je vois qu’on est dans le même bain : une consolation à la solitude imposée.

Dans l’eau une part de la violence d’autrui devient caresse.

Dans l’eau, une part de l’élan de l’un vers l’autre se dissout dans le néant.

Dans l’eau, le refus ne pardonne pas ; pourtant, accepter paraît le fruit d’un long travail à recommencer éternellement.

Dans l’eau, ce qui ressort, c’est l’espace entre ; entre les personnes ; entre soi et l’eau ; entre l’idée d’un geste, son impulsion, les surprises de son développement, les répercussions engendrées ; entre la vie et la mort ; entre le bon et le mauvais ressenti de l’air en soi, quand c’est trop ou pas assez ; entre le « pas encore » et le « trop tard » : un équilibre à construire à chaque instant, qui voudrait s’appeler libre arbitre.

Dans l’eau, j’observe de loin l’étrangeté du résultat d’un processus de fossilisation subi à l’air ; je m’étonne de la crispation des mains, des postures sans imagination du corps et des façons dont insensiblement se déplient à l’eau, dans la mémoire des corps successifs que j’ai habités, les différentes strates qui me font : coquillage renouant avec le muscle, la circulation des fluides, l’énergie de la substance.

Dans l’eau, se matérialisent les directions et sens pris par le corps, lui donnant une dimension liée à son devenir et à son passé ;  je suis ici ; je suis là-bas, où se heurte le remous que j’ai créé ;  je suis aussi encore dans le creux initial troublant la surface de l’eau : une réconciliation entre ce que j’ai été, ce que je suis, et ce que je deviens ; quant aux possibles éludés, ils stagnent, présents dans la substance palpable de l’eau : une boîte à outils à portée de main.

Dans l’eau, par les stimulations successives de l’eau dans le mouvement, je me confronte à ma réalité par fragments, sans angoisse de déréalisation ; par moment, mes joues sont particulièrement là, larges surfaces de glisse, ou ma nuque et son opiniâtreté, ou le dos de mes mains, comme soyeux : nous sommes.

Dans l’eau, oblique, je pose à plat une main sur la surface et un peu plus loin l’autre main, à plat sous la surface ; la sensation, bien plus que simplement agréable ou douce, est émouvante ; je suis intérieure et extérieure, par un toucher des plus sensibles, contenant et contenu : arriver à s’habiter ainsi, très en soi et très hors soi, exactement en un même ressenti, immergée. 

Laure